Né en 1978 à Versailles, l’artiste contemporain Gaël Grivet sera l’invité d’Art en île, Halle Nord, à Genève, du 11 mars au 4 avril. L’installation Centre de Paysage, qu’il présente à cette occasion, est une ode pleine d’ironie à un arroseur automatique devenu créateur à son tour. Interview d’un équilibriste virtuose qui déploie sa créativité dans les tensions toutes baroques qui sommeillent dans les jeux de langage.
-Gaël Grivet, vos oeuvres et leurs titres, comme Phrance, Hopening ou Quid pro quo, portent et matérialisent souvent l’ironie des doubles sens…
-Oui. Je cherche à rendre des jeux de mots visibles par des jeux de formes-matière, ces dernières étant elles-mêmes des syntaxes. La sémantique et l’analyse linguistique se déplacent ainsi sur des formes.
- Qu’en est-il dans Centre de paysage?
-La relation sculpture-peinture est très présente dans ce travail. « Centre », dans cette expression, peut s’entendre comme « institution dédiée au paysage » ou comme « milieu à partir duquel le paysage est créé ». Ici, le « centre de paysage » est un arroseur automatique, qui fait « t-t-t-t-t ». Il sera placé dans la salle d’exposition et relié à une pompe remplie de peinture verte. A partir du cône de projection, des collines vertes se dessineront sur les murs. On aura l’impression que c’est l’objet « arroseur » qui crée le paysage à lui tout seul. Dans la vie courante, un arroseur a pour fonction de rendre l’herbe belle, bien verte. Dans cette installation, l’arroseur crée lui-même l’image du paysage idéal. On peut en outre interpréter l’installation comme un raccourci de langage.
-Comment vous vient votre inspiration?
-Je pars de zéro. Je réalise des productions inédites en fonction des lieux d’exposition où je suis invité. Je travaille dans la continuité de ce qui est déjà présent. Pour moi, c’est un peu un garde-fou contre le sens.
-Vous vous dites proche de la pensée du philosophe italien Giorgio Agamben, selon qui l’école, l’armée, la télévision, le téléphone sont des dispositifs qui capturent, modèlent et contrôlent les gestes, les conduites, les opinions et les discours des personnes…
-Oui. A la suite d’Agamben, je considère le langage lui-même comme un dispositif. Il nous est étranger, nous le subissons. Je comprends le langage comme une forme imposée, qu’il s’agit de se réapproprier constamment, en le réinventant à notre manière. Cela permet d’évoluer plus librement en regard de ce dispositif-cadre. Réinventer est en quelque sorte un antidote à l’assujettissement.
-Parlez-nous de votre œuvre précédente, Bleu Dilemme ?
-J’ai été invité à produire quelque chose dans un abri antiatomique. J’ai appris qu’il s’y trouvait, dans des trousses de premiers secours avec des traitements antiradiation, du bleu de Prusse, un élément conditionné sous forme de gélules. Ce dernier permet de limiter les effets néfastes de la radioactivité. Mais le bleu de Prusse est aussi un pigment synthétique qui est à la base d’un certain procédé de développement photographique. Mon installation faisait le parallèle entre les deux applications du bleu de Prusse. A la fois source d’images et antidote. J’y ai vu un reflet de ma situation en tant qu’artiste, un point de rencontre possible entre ce lieu, l’abri antiatomique, et ma pratique. J’ai mis sur pied une chaîne de production de bleu de Prusse à l’intérieur même de l’abri. A la sortie, les visiteurs pouvaient acquérir une feuille en rouleau, bleue. Ainsi la double valeur du bleu de Prusse (pharmacologique et artistique) était préservée tout au long de la chaîne de production, les rouleaux contenant autant une molécule qu’une image à tirage limité. Le «dilemme » du titre résidait dans le fait de créer l’image-antidote tout en risquant de s’exposer au dehors. En effet, réaliser cette œuvre impliquait d’ouvrir une fenêtre dans l’abri, ce qui signifie un danger, une transgression potentiels.