Sur un écran suspendu, est écrit le mot «aujourd’hui» dont les lettres changent doucement de place, engendrant une vibration à la fois littérale et sémantique du mot. Dans une autre installation, le cône de projection d’un film est matérialisé par une pyramide de bois contre-plaqué, accrochée perpendiculairement au mur. Elle soutient de l’autre côté le projecteur lui-même. Ici c’est le flux qui tient l’image. Avec «Centre de paysage», de la peinture verte a été projetée grâce à un arroseur automatique, sur les murs d’une galerie, créant des vagues de «pelouse» et une amorce de panorama paysager.
Si créer une oeuvre, c’est créer un monde, alors le monde des oeuvres de Gaël Grivet est celui du renversement et du contournement. Du contournement comme l’entendait Hegel dans son concept de l’expérience de la conscience. Expérience qui naît d’une évaluation entre l’objet su et l’objet vécu. Ecrans et murs (cristaux liquides ou plâtre) interviennent souvent. Ils sont comme une matière première, indéfiniment malaxable, et qui, s’ils peuvent porter l’image, supportent aussi les intentions plastiques des installations. L’écran redevient un point de départ, un point nodal irradiant son environnement non pas d’images, mais d’une réflexion sur les dispositifs producteurs d’images, la manière dont ils nous atteignent, nous donnent à penser, mais façonnent aussi cette pensée.
Déplacement, assimilation, emprunt sont aussi trois vecteurs du travail de Gaël Grivet. Ils sont à chaque fois envisagés non comme marqueurs conceptuels ou comme posture, mais intégrés au processus de création et jouant d’une triangulation entre l’élément d’histoire, l’artiste et le visiteur. Par exemple : «La marche possible des courants», est un ensemble de 7 boîtiers montés sur trépieds qui projettent des images de coupes de neurones. L’objet scientifique flashé et projeté, renvoie en amont à l’image de la pensée comme objet matérialisé par la science et en aval à la persistance rétinienne ; grâce à son bref instant d’apparition, mais aussi parce qu’il pourrait être une image du fond de l’oeil. On voit dans ce dispositif tout un système d’inversion, depuis une projection de la pensée jusqu’à une image de la vue, qui jette un trouble entre ce que l’on croit reconnaître des éléments présentés et leur actuelle présentation. Marie-José Mondzain parle de l’image comme d’une articulation de la pensée, on pourrait parler chez Gaël Grivet d’une pensée comme articulation d’images (mentales et physiques). Les tripodes et leurs boîtiers sont d’ailleurs tout autant des objets de captation quand ils sont caméras, que de monstration quand ils sont projecteurs. Ils sont groupés au centre de la pièce et flashent leur image dans différentes directions. Ils font intervenir le visiteur, qui devra esquiver et se placer au bon endroit pour ne pas être pris dans le faisceau de lumière et voir lui aussi. On pense inexorablement aux tripodes de «La guerre des mondes» , de Spielberg (d’après l’oeuvre de H.G. Wells) qui voient et tuent à la fois. Dans l’espace diégétique du film, les personnages sont pris par les visions des extra-terrestres et disparaissent de l’écran (et de l’image).
Dans les différentes oeuvres de Gaël Grivet, le mouvement principal est celui de la vrille, du tour de vis ou comment adjoindre 2 éléments et les faire travailler ensemble. «Brouillard» est une installation du mot lui-même dans la campagne, visible depuis le belvédère constitué par les hauteurs du village voisin. Les lettres de plusieurs mètres de haut sont présentées sur le modèle du «Hollywood» des collines de Los Angeles. Ici le dispositif est encore inversé : des hauteurs on passe à la profondeur, d’une visibilité instaurée comme profession de foi, on découvre l’ombre d’un doute : celle du brouillard. On imagine très bien le brouillard remplir la vallée, buter sur le mot, le contourner, se confronter à son même littéral. Imaginer car l’oeuvre ne serait plus visible.
Quand on regarde les installations de Gaël Grivet, nous sommes toujours pris dans une combinatoire, dans un entrelacement de choses (réelles et créées). Rien n’indique le sens de la visite. Nous sommes engagés dans un jeu de montage mental entre les différents éléments qui nous sont présentés. Il nous faut mener l’enquête. A nous de nous projeter.
François Sechet